«Nous sortons des principes de l’État de droit»

«Nous acceptons une politique destructrice, clairement condamnée par le droit international et les Nations Unies»

Interview de Jacques Baud*

Zeitgeschehen im Fokus La situation au Proche-Orient doit être considérée dans son ensemble, mais nous assistons néanmoins à des évolutions différentes dans les différents États. J’aimerais commencer par la Syrie. Le nouveau gouvernement est au pouvoir depuis novembre. Qu’est-ce que cela a changé dans l’équilibre des forces entre les acteurs au Proche-Orient ?

Jacques Baud Tout d’abord, il faut comprendre que tout ce qui se passe au Moyen-Orient – et en Syrie en particulier – a pour objectif de modifier les rapports de force dans la région. Israël a toujours eu le sentiment que son environnement géopolitique lui était fondamentalement hostile. Tous ses voisins étaient de grands et puissants pays. La stratégie d’Israël a donc été de les diviser et de les pousser dans des conflits internes, afin qu’ils ne soient pas en mesure de l’attaquer.

L’idée d’un morcellement de la Syrie émerge en février 1982, avec le Plan Yinon, publié en sous l’égide de l’Organisation Sioniste Mondiale, sous le titre « Une stratégie pour Israël dans les années 1980».1 Sous sa forme originale, ce « plan » n’a jamais constitué un élément officiel de la politique de sécurité israélienne, mais il l’a définitivement inspiré.

Le plan a été repris en 1996 sous forme d’une stratégie pour le gouvernement de Benjamin Netanyahu. On le retrouve dans un document secret de la Defense Intelligence Agency (DIA) de 2012. Il s’agit alors de créer un État kurde au nord-est du pays (dans des zones qu’ils n’ont jamais occupées historiquement) ainsi qu’une « principauté salafiste » au sud-est, et de confiner les populations chiites, alaouites et chrétiennes à l’ouest du pays. Il suit les grandes lignes du plan Yinon israélien.

C’est ce qui explique le soutien israélien à l’opposition islamiste, y compris l’État islamique (EI) que l’on a observé dans les années 2011-2013.2 D’ailleurs, contrairement à ce que nos politiciens ont raconté – en Suisse notamment – l’État Islamique est vigoureusement opposé au Hamas palestinien et lui a même déclaré la guerre.3 En réalité, les Occidentaux n’ont pas réellement combattu l’État Islamique, mais l’ont utilisé pour déstabiliser le gouvernement syrien4. C’est ce que nous observons aujourd’hui.

La prise de pouvoir du Hayat Tahrir al-Sham (HTS) en décembre 2024 est le résultat d’un concours de circonstances. Premièrement, le besoin de Tayyip Erdogan de trouver des succès en politique étrangère pour masquer ses problèmes économiques intérieurs. Deuxièmement, le besoin d’Israël de montrer une forme de succès et de créer une situation qui se rapproche d’un conflit généralisé afin d’inciter les Américains à intervenir dans la région.4

Troisièmement, l’Ukraine voit la Syrie comme une priorité stratégique pour la Russie et un succès contre Damas permettrait de détourner l’attention de ses échecs militaires sur son propre territoire.5 Le tout ayant la bénédiction de l’administration Biden, dans le prolongement de l’administration Obama de déstabiliser la Syrie.

Aujourd’hui, la division du territoire syrien reflète ce que prévoyait le plan Yinon, mais probablement pas avec le même bénéfice pour Israël.

Dans un premier temps, le renversement de Bachar al Assad, a renforcé la position militaire de la Turquie, notamment à l’égard des Kurdes. Mais aujourd’hui, il semble que la Turquie n’ait plus le contrôle de ce qui se passe dans le pays, en particulier avec les massacres que l’on a vus en mars dans le secteur de Lattaquié.

Quant à Israël, la situation ne s’est pas vraiment améliorée. Au lendemain de l’arrivée du HTS au pouvoir, on pouvait voir à Istanbul le slogan « Hier Sainte Sophie. Aujourd’hui les Omeyyades. Demain Al-Aqsa ». Autrement dit, la partie du monde musulman la plus adversaire d’Israël s’est rapproché.

Par ailleurs, il faut se rappeler que le « nom de guerre » « Mohammed al-Jolani » est transcrit en arabe classique, mais dans la région on le prononce « Mohammed al-Golani ». Il est originaire du Golan, aujourd’hui occupé par Israël. Cela explique que très rapidement, les nouvelles autorités de Damas ont mis en garde Israël contre sa présence et ses frappes sur le territoire syrien.6 De son côté, Israël a clairement menacé la Syrie.7

Le problème est qu’Israël n’a jamais été capable de développer ses relations avec ses voisins par le dialogue. Tous les efforts de paix faits dans la région ont été conduits par les États-Unis. On notera une fois de plus, que dans cette région, l’Union Européenne – qui a pourtant un programme de dialogue méditerranéen – est incapable d’assumer un rôle diplomatique.

Y a-t-il une explication plausible au fait que l’Occident collabore avec une branche d’Al-Qaïda (d’abord Al Nusra et maintenant HTS) qui figure sur la liste des organisations terroristes et lui apporte un soutien financier ? Ou encore : en Suisse, une personne est punie pour sa proximité avec l’EI, alors qu’Abu Mohammed el-Jolani, responsable de milliers de morts, reçoit de l’argent de l’Occident.

Tout d’abord, cela montre le caractère très relatif de la qualification « terroriste ». Le but de désigner une entité comme terroriste devrait être de définir une stratégie pour le combattre. Aujourd’hui, on l’utilise exclusivement à des fins punitives. Ainsi, on peut appliquer des peines plus sévères… mais on n’améliore pas la sécurité !

Voyez la contradiction : le HTS est considéré comme mouvement terroriste par les Nations Unies et on s’empresse d’aller le financer, tandis que le Hamas, qui n’est pas considéré comme terroriste par les Nations Unies,8 et on cherche à le qualifier de terroriste afin de justifier les crimes de guerre commis par Israël. Nous sommes dans une schizophrénie qui ne s’explique que par le fait que nous faisons la politique d’Israël. Ce faisant, nous ne remarquons pas que tout cela se retourne contre Israël et parfois je me demande si nos ministres, parlementaire et journalistes ne sont pas tous des antisémites profonds…

En réalité, nous ne comprenons strictement rien à ce conflit et aux mécanismes qui conduisent au terrorisme. En Suisse, nous sommes en train de faire exactement les mêmes erreurs qu’ont fait les Français et les Allemands en 2014-2015. Alors que ces deux pays n’étaient pas menacés, ils ont littéralement créé les conditions pour que se déroulent les attentats de l’État Islamique qu’ils ont subis à cette période. Lorsque je lis le postulat de Christian Imark (UDC) du 4 mai 2017, qui demande à « interdire ou classer le Hamas parmi les organisations terroristes », je constate que nos députés sont non seulement menteurs, mais également totalement ignares des mentalités et des nuances avec lesquelles nous devons comprendre le Moyen-Orient.9

La récente arrestation d’Ali Abunimah, un journaliste canadien, par les services de Mario Fehr à Zürich en février 2025, contre l’avis de nos services de renseignement est une pièce d’anthologie de sottise, d’ignorance et d’absence de sens stratégique.10 Cela a donné une mauvaise visibilité à la Suisse, mais plus que cela, on peut estimer que M. Fehr a multiplié par 100 le risque d’avoir des attentats terroristes en Suisse. Non par les Palestiniens, car les Palestiniens ne mènent pas d’attentat en dehors du territoire de la Palestine historique, mais par d’autres mouvements qui n’ont rien à voir avec la Palestine, mais qui désormais percevront la Suisse comme un pays ennemi.

C’est pour cette raison que l’on parle de « conflit asymétrique » et non « dissymétrique ». C’est malheureusement un concept très mal compris en Occident, et parce que nous ne le comprenons pas nous créons nous même les conditions du terrorisme. Tous les attentats qui ont frappé l’Europe depuis 2014 étaient prévisibles. Sans exception…

D’un côté, l’UE donne de l’argent, de l’autre, Israël bombarde presque quotidiennement la Syrie et détruit les infrastructures. Dans quelle logique nous trouvons-nous ?

Il faudrait d’abord définir ce que l’on appelle « Syrie » ! Aujourd’hui, il s’agit d’un pays partagé entre des factions rivales. Nous sommes dans la situation prévue par le Plan Yinon.

Le problème ici est que les Occidentaux n’ont pas d’objectifs. Ils font la guerre pour Israël. Les Occidentaux ont été les principaux acteurs de la guerre qui a secoué le pays dès 2011. Ce sont les Occidentaux qui ont amené les islamistes dans le pays en les repoussant depuis l’Irak.11 Ce sont les Occidentaux qui les ont armés.12 Ce sont les Occidentaux qui ont provoqué ce changement de pouvoir. Ce sont les Occidentaux qui s’en félicitent.13

Lorsqu’on voit la réaction des dirigeants européens face à la situation en Ukraine, en Palestine ou en Syrie, cela pose la question des personnes que nous élisons. Dans aucun de ces conflits, ils n’ont de stratégie de sortie. Ils essaient d’agir que lorsque la situation devient désespérée, comme en Ukraine, mais jamais avant, lorsqu’on peut prévenir les massacres. Il n’y a jamais d’anticipation de stratégie basée sur le dialogue.

Nous sommes en face d’une vraie crise de la démocratie, car je ne pense pas que nos populations soient favorables à la manière dont les affaires du Moyen-Orient sont menées. Nos ministres des Affaires étrangères sont devenus des ministres de la guerre. Les Annalena Baerbock, Jean-Noël Barrot, David Lammy ou Kaja Kallas sont clairement des individus qui n’ont pas le niveau intellectuel requis par leur fonction.

Lorsqu’Annalena Baerbock dit que la population palestinienne n’a plus droit à la protection prévue par le droit international humanitaire (DIH), car des combattants se cachent en son sein, non seulement elle répète exactement ce que les autorités allemandes avaient déjà dit en France et dans les pays de l’Est entre 1941 et 1945, mais elle viole le DIH. L’Allemagne n’a-t-elle donc rien appris de la Seconde Guerre Mondiale ?

Peut-on constater que la position de l’Iran s’est affaiblie depuis le départ d’Assad ?

Dans un premier temps peut-être, mais plus maintenant. Tout d’abord, il faut admettre que Bachar al-Assad n’avait plus vraiment le contrôle sur une partie de son pays. Le problème n’est pas tellement la position de l’Iran, mais la capacité du Hezbollah libanais d’avoir un soutien politique et peut-être logistique.

Il est certain que le Hezbollah a perdu ses principales lignes d’approvisionnement à travers la Syrie, mais pour combien de temps ? Les Palestiniens de Gaza ont réussi à créer des lignes d’approvisionnement sur un territoire beaucoup plus petit et sans profondeur stratégique. Nul doute que le Hezbollah arrivera rapidement à rétablir sa logistique.

De plus, même si la Syrie a cherché à lutter contre les chaines d’approvisionnement en armes du Hezbollah, al-Jolani a cherché à établir des liens « respectueux » avec la Russie et l’Iran. Il souhaite que la Russie maintienne sa présence en Syrie et il est probable qu’il cherche à avoir une coopération avec l’Iran sur la question du Liban.14 

Autrement dit, une fois de plus Israël s’est trompé d’adversaire. La particularité d’Israël est que malgré qu’il clame son appartenance à la région depuis 2000 ans, il n’y comprend strictement rien. Il a une logique occidentale. Netanjahu est d’origine polonaise (nom réel : Mileikowsky), Bezalel Smotrich est d’origine ukrainienne, Ben Gourion venait de Pologne, Shimon Peres venait de Pologne, Golda Meir venait d’Ukraine, Ehud Olmert venait d’Ukraine, Ehud Barak venait de Lituanie, Ariel Sharon de Géorgie, etc. Cela explique deux choses :

Premièrement, incapables de s’intégrer dans une culture qu’ils ne comprenaient pas, ils lui ont fait la guerre. Tant qu’il n’y aura pas des dirigeants israéliens issus du Moyen-Orient (Misrahi), Israël sera incapable de dialoguer avec ses voisins et sera en conflit avec eux.

Deuxièmement, tous ces dirigeants (et la majeure partie de la population) viennent de cultures qui, pour diverses raisons historiques et parfois justifiées, haïssent les Russes et les Européens. Cela explique pourquoi on observe les mêmes problèmes dans la conduite politique et militaire de l’Ukraine et d’Israël. Les contextes sont différents, mais la manière d’aborder les problèmes est exactement la même. De plus, dans les deux cas, l’information qui nous parvient est tellement faussée que nous ne parvenons pas à comprendre pourquoi ces deux pays sont en échec.

Pour revenir à l’Iran, sa position s’est considérablement renforcée. En Syrie, les nouvelles autorités ne lui sont pas hostiles, contrairement à ce que la logique occidentale pourrait suggérer. Ensuite, les liens qui se sont renforcés entre l’Iran et la communauté arabe contribuent à faire de l’Iran un acteur respecté à part entière de la région. Ensuite, les accords signés en 2024 et 2025 avec la Russie lui ont donné une profondeur stratégique que même les nouvelles autorités de Damas respectent.

Les Etats-Unis ont menacé de considérer les attaques des rebelles houthis comme des attaques de l’Iran contre les Etats-Unis. Y a-t-il là un risque de guerre entre les États-Unis (Israël) et l’Iran ?

Nous entrons ici dans le domaine de l’irrationnel. Contrairement au narratif israélien et occidental, les Houthis ne sont pas un « proxy » de l’Iran. Le terme « proxy » signifie qu’il y a un certain degré de contrôle d’un acteur sur un autre. Certes, l’Iran fournit très probablement des armes aux Houthis, mais les Houthis ne font pas la politique de l’Iran. Ils sont un acteur indépendant, comme le dit d’ailleurs l’Institut National israélien d’Études sur la Sécurité (INSS).15 Les Houthis mènent actuellement une campagne contre Israël dans le cadre de la « responsabilité de protéger » (R2P), qui est un des principes des Nations Unies.16

R2P signifie que tout État a la responsabilité de protéger sa population. C’est notamment le cas d’Israël, qui est légalement responsable de protéger la population palestinienne, car cette dernière est sous une occupation qui est probablement la plus brutale de l’Histoire. Lorsque cet État n’est pas capable de le faire, la communauté internationale doit l’aider à prendre les mesures pour protéger cette population. Lorsque cette aide n’a pas fonctionné, alors il est de la responsabilité de la communauté internationale d’intervenir. C’est ce que font les Houthis, pour pousser Israël à appliquer un cessez-le-feu.

En fait, les Houthis ont déclaré un embargo contre le port israélien d’Eilat et ils cherchent à dissuader les navires d’y accoster. Aujourd’hui, le port d’Eilat est fermé et constitue certainement un problème pour Israël.17

Le problème est que la lecture américaine du monde est toujours simplifiée. Les frappes décidées par Donald Trump montrent que la nouvelle administration n’a pas beaucoup changé par rapport aux précédentes et n’a toujours pas compris comment résoudre les problèmes. Mais le récent « Signalgate » a aussi montré qu’il y a des vues très différentes au sein de l’équipe de Trump et que JD Vance n’était pas favorable à ces frappes.18 Elles ont d’ailleurs été menées sans consultation avec le Congrès,19 avec l’objectif d’envoyer un signal à l’Iran.20

Cela étant dit, on ne comprend plus vraiment l’obsession américaine contre l’Iran. Lors de la présentation du rapport annuel de la communauté du renseignement aux commissions du Congrès,21 Tulsi Gabbard, Directrice du renseignement National, a déclaré que « La communauté du renseignement continue d’affirmer que l’Iran ne produit pas d’armes nucléaires et que le Guide suprême Khamenei n’a pas autorisé la poursuite du programme d’armement nucléaire qu’il avait suspendu en 2003. » Autrement dit, l’Iran ne constitue aucune menace pour Israël : les deux pays n’ont pas de contentieux territorial ou autre.

L’obsession américaine est difficile à comprendre si l’on regarde le problème depuis l’Europe. Il faut le regarder depuis Tel-Aviv. Situé sur les arrières de pays sunnites perçus comme hostiles, l’Iran a longtemps été le meilleur allié d’Israël, même après l’arrivée de Khomeini en 1978. Mais à la fin des années 1980, avec les divers accords conclus par les Américains avec les pays arabes, Israël a compris qu’il lui fallait avoir un « meilleur ennemi ».

L’idée des Israéliens est qu’un conflit majeur au Moyen-Orient obligerait les Américains à intervenir et offrirait ainsi un « parapluie sécuritaire ». C’est la raison des provocations permanentes contre l’Iran. Cela signifie que plus la situation militaire d’Israël se dégrade, plus il aura tendance à provoquer une escalade régionale.

Du côté iranien, on observe plutôt une tendance à l’apaisement. La doctrine de « patience stratégique » appliquée par l’Iran est très mature. Les réponses apportées en 2024 par les Iraniens aux attaques israéliennes ont démontré une remarquable maitrise de la technologie, mais aussi de la stratégie. En frappant de manière précise et limitée sans faire de victimes civiles (ce que les Israéliens sont incapables de faire), les Iraniens ont montré qu’ils avaient la capacité de neutraliser la défense aérienne israélienne, voire de détruire le pays, si cela était nécessaire. Comme je l’ai dit, il n’y a pas de contentieux entre les deux pays. L’Iran n’a donc aucune raison d’attaquer Israël, car il sait qu’il déclencherait le feu américain.

Israël a de nouveau lancé une offensive terrestre dans la bande de Gaza, probablement pour mettre en œuvre la proposition de Trump. Après 18 mois de bombardements massifs et de déploiement de troupes au sol, Israël n’est pas parvenu à mettre le Hamas hors d’état de nuire, mais a en revanche tué 50000 personnes et probablement bien plus encore, en majorité des femmes et des enfants.

Pourquoi n’y a-t-il pratiquement aucun État dans l’hémisphère occidental qui critique sérieusement les actions d’Israël et prenne des mesures ? Pourquoi tout le monde laisse-t-il faire Israël, même les pays non européens, y compris une partie des pays arabes ?

C’est inexplicable. Israël est probablement le pays qui a le plus violé le droit international humanitaire et commis les crimes les plus atroces dans l’Histoire, comme en témoignent les innombrables résolutions et rapports des Nations Unies. Nous savons aujourd’hui ce que nous savions au mois d’octobre 2023 : les accusations portées contre les Palestiniens étaient fausses. Les journalistes israéliens (qui, contrairement aux nôtres, sont de vrais journalistes) ont enquêté et on fait la preuve que nos gouvernements soutiennent Benjamin Netanyahu et sa politique.

Cela étant dit, le problème n’est pas vraiment de savoir si les Palestiniens ont commis des crimes ou non. Le vrai problème est que nous acceptons une politique destructrice, clairement condamnée par le droit international et les Nations Unies, justifiée par le seul droit de répondre. Or, en droit pénal comme en droit international, un crime si horrible soit-il ne peut en justifier un autre.

Depuis Trump, on a l’impression qu’Israël peut se déchaîner encore plus qu’avant. Pourquoi l’Occident soutient-il la politique meurtrière de Netanyahou ?

La crise de Gaza montre l’effondrement du droit international humanitaire. L’incapacité de la Cour Internationale de Justice (ICJ) de statuer sur la question du génocide, tout en le qualifiant de « plausible », au bout de trois ans illustre la politisation de la Justice en Occident.

La Cour Pénale Internationale (CPI) a bien sûr émis des mandats d’arrêt contre Benjamin Netanyahu et Yoav Gallant, ainsi que contre Ismaïl Hanieyh, Yaya Sinwar et Mohammed Deif. On constate que les pays occidentaux ont approuvé ces mandats et la condamnation à mort des Palestiniens. Mais pour Netanyahu, c’est l’inverse. Les États-Unis, la Hongrie et la Belgique ont déclaré qu’ils ne l’arrêteraient pas.

Lorsque j’étais en Afrique, j’ai été confronté à la question de la CPI dans le cadre de la lutte contre la Lord’s Resistance Army, une sorte de Boko Haram chrétienne qui opérait au Sud-Soudan, au Congo, en Ouganda et en Centrafrique. Les Africains n’avaient pas confiance dans la CPI, ils disaient : « C’est un tribunal qui a été mis sur pied pour condamner les Africains, pas pour amener la justice ». Ils avaient raison.

En fait, la CPI s’est condamnée elle-même en lançant un mandat d’arrêt contre Vladimir Poutine. Non seulement la Russie ne fait pas partie du Statut de Rome, mais la CPI n’a fait aucune évaluation des charges reprochées à Poutine. En réalité, la CPI a agi politiquement, et non en fonction du droit. À partir de là, chacun interprète et applique le droit comme il lui plait. Par ailleurs, les sanctions imposées par l’administration Trump à la CPI22 montrent que l’on n’est plus dans l’application du droit, mais dans un rapport de force en les pays occidentaux et la justice internationale. Nous sortons des principes de l’État de droit pour être dans celui des républiques bananières…

Monsieur, je vous remercie pour cet entretien.
Interview réalisée par Thomas Kaiser

Interview parue en allemand dans « Zeitgeschehen im Fokus » No 7 du 12/04/2025

*Jacques Baud est titulaire d’un master en économétrie et d’un diplôme post grade en sécurité internationale de l’Institut universitaire des relations internationales de Genève. Il était colonel de l’armée suisse.  Il a travaillé pour le Service de renseignement stratégique suisse et a été conseiller pour la sécurité des camps de réfugiés dans l’est du Zaïre pendant la guerre du Rwanda (UNHCR – Zaïre/Congo) (1995-1996). Il a travaillé entre autres au sein de l’OTAN en Ukraine et est l’auteur de plusieurs ouvrages sur les services de renseignement, la guerre asymétrique, le terrorisme et la désinformation.

  1. Oded Yinon, « A Strategy for Israel in the Nineteen Eighties », KIVUNIM (Directions), A Journal for Judaism and Zionism; Issue No, 14–Winter, 5742, Department of Publicity/The World Zionist Organization, Jerusalem, février 1982 ↩︎
  2. Elizabeth Tsurkov, “Inside Israel’s Secret Program to Back Syrian Rebels”, Foreign Policy, 6 septembre 2018 ↩︎
  3. Iyad Abuheweila & Isabel Kershner, “Islamic State declares war on Hamas as Gaza families disown sons in Sinai”, The Irish Times, 11 janvier 2018 (https://www.irishtimes.com/news/world/middle-east/islamic-state-declares-war-on-hamas-as-gaza-families-disown-sons-in-sinai-1.3351899) ↩︎
  4. Brad Hoff, « West will facilitate rise of Islamic State “in order to isolate the Syrian regime : 2012 DIA document », Foreign Policy Journal, 21 mai 2015 ; voir également : http://www.judicialwatch.org/wp-content/uploads/2015/05/Pg.-291-Pgs.-287-293-JW-v-DOD-and-State-14-812-DOD-Release-2015-04-10-final-version11.pdf ↩︎
  5. https://english.iswnews.com/36303/ukraine-tries-to-open-new-front-against-russia-in-syria/ ↩︎
  6. https://allisrael.com/de/rebellenfuehrer-jolani-sagt-israel-habe-keine-ausreden-mehr-fuer-angriffe-in-syrien-idf-chef-antwortet-wir-mischen-uns-nicht-ein ↩︎
  7. https://www.middleeasteye.net/news/israel-confirms-strike-syrian-capital-and-sends-warning-ahmed-al-sharaa ↩︎
  8. https://press.un.org/en/2024/sc15909.doc.htm ↩︎
  9. https://www.parlament.ch/fr/ratsbetrieb/suche-curia-vista/geschaeft?AffairId=20173309 ↩︎
  10. https://www.tagesanzeiger.ch/ali-abunimah-umstrittene-verhaftung-des-pro-palaestina-redners-501723533879 ↩︎
  11. Joe Romm, « Human-Caused Warming Helped Trigger Current Syrian Conflict and Rise of ISIS », thinkprogress.org, 3 mars 2015 ↩︎
  12. « Syrie : La France a livré des armes aux rebelles syriens », 20 Minutes/AFP, 21 août 2014 (mis à jour le 22 aout 2014) ↩︎
  13. https://www.politico.eu/article/syria-bashar-assad-eu-welcomes-collapse/ ↩︎
  14. https://www.rferl.org/a/syria-russia-iran-sharaa-trump-assad/33257139.html ↩︎
  15. https://www.inss.org.il/publication/houthi-problem/ ↩︎
  16. https://www.un.org/en/genocideprevention/about-responsibility-to-protect.shtml ↩︎
  17. https://www.ynet.co.il/economy/article/r1tzai11rjx ↩︎
  18. https://www.thenation.com/article/world/vance-democrats-opposition-yemen-war/ ↩︎
  19. https://www.rightsanddissent.org/news/trump-bombs-yemen-without-congressional-approval/ ↩︎
  20. https://www.rferl.org/a/us-airstrikes-houthis-yemen-iran-tensions-2025/33350545.html ↩︎
  21. https://www.intelligence.senate.gov/sites/default/files/ATA 2025 –  24 Mar – Unclass – Final-Final Version.pdf ↩︎
  22. https://www.whitehouse.gov/presidential-actions/2025/02/imposing-sanctions-on-the-international-criminal-court/ ↩︎