«Les Occidentaux et Israël ont créé des chaos régionaux afin de satisfaire leurs ambitions et leurs intérêts propres»
Interview de Jacques Baud*
Zeitgeschehen im Fokus Selon les médias, Joe Biden aurait supprimé la limitation de la portée des ATACMS, est-ce exact ?
Jacques Baud Non. En réalité, Biden n’a pas levé les limitations données à l’Ukraine pour l’engagement de missiles, en novembre 2024 ! C’est de la pure manipulation de la part de nos journalistes et médias.
Je ne pense pas que les États-Unis cherchent à pousser vers un affrontement direct avec la Russie. Même si l’administration Biden semble ne faire aucun effort pour faciliter l’entrée en fonction de l’équipe Trump, je ne pense pas qu’un tel affrontement soit un objectif. Quant à Donald Trump, il s’est lui-même prononcé contre l’emploi de missiles contre le territoire russe1.
Au mois de mai 2024, après l’offensive russe sur Kharkov, les ‘Etats-Unis, la France et la Grande-Bretagne ont donné leur accord pour l’emploi de leurs armes contre des objectifs situés sur le territoire russe2. Il s’agissait alors de donner à l’armée ukrainienne la capacité de frapper des postes de commandement, des positions d’artillerie ou des dépôts de munition sur les arrières russes3. Bien qu’aucune distance n’ait été officiellement annoncée, il était généralement admis que cette autorisation concernait une zone de 50 à 60 km le long de la frontière et excluait des frappes sur des villes comme Moscou.
Depuis, la situation de l’Ukraine s’est encore dégradée. Au début août 2024, une offensive dans l’oblast de Koursk devait permettre de s’emparer d’un territoire – éventuellement même la centrale nucléaire de Koursk. Comme Zelensky l’a confirmé lui-même, il s’agissait d’une prise de gage en vue d’une éventuelle négociation4. Ce territoire avait donc pour l’Ukraine une importance de nature stratégique. C’est pourquoi, les pays occidentaux avaient autorisé l’engagement de missiles sur le territoire russe. Pour simplifier un peu : la centrale de Koursk se trouve à environ 60 km de la frontière et si on y ajoute la profondeur initialement autorisée par les Occidentaux (50-60 km), on arrive à une profondeur de 100-120 km.
Il faut rappeler que selon l’International Institute for Strategic Studies (IISS) la probablement majeure partie des ATACMS fournis à l’Ukraine sont des M39 Block 1 de 1997, dont la portée maximale est de 165 km5. En général, pour protéger le lanceur, ces missiles sont engagés à une distance de la ligne de front égale aux deux-tiers de la portée. En d’autres termes, les lanceurs sont à environ 100-120 km de la ligne de front et la profondeur des frappes est donc de 40-65 km. C’est ce que l’on a observé jusqu’à aujourd’hui, à l’exception de la frappe sur Briansk.
Avec la situation qui se dégrade, Zelensky a demandé à ses alliés occidentaux l’autorisation d’utiliser ses armes encore plus profondément (300 km pour les ATACMS américains et 500-550 km pour les STORM SHADOW/SCALP britanniques et français). L’Ukraine pourrait ainsi menacer des villes russes jusqu’à Moscou environ. Cette capacité de frapper dans la profondeur opérative/stratégique de la Russie faisait parte de son « plan pour la victoire ».
Zelensky voulait cette discussion en septembre 2024 en marge de l’Assemblée Générale de l’ONU, mais Biden l’a repoussée à la réunion du Groupe de Ramstein, alors prévue pour la mi-octobre. Mais en octobre, Biden a ajourné cette réunion, sans que la demande de Kiev ne soit discutée. Depuis, malgré les demandes répétées de Zelensky et du premier-ministre britannique Keir Starmer, Joe Biden a continué de refuser l’emploi des ATACMS dans la profondeur du territoire russe.
Jusqu’à aujourd’hui, aucun document ou déclaration officielle n’a montré un changement de doctrine à cet égard. Lors des conférences de presse de la Maison Blanche et du Pentagone, les porte-paroles répètent qu’il n’y a aucune confirmation que Biden aurait changé d’avis sur cette question6. Comme durant la guerre froide, les États-Unis veulent éviter d’être dans une situation qui les obligerait à une confrontation directe avec la Russie.
Pourtant, depuis le 17 novembre 2024, la presse occidentale (et de nombreux commentateurs « géopolitiques ») prétend que Biden a décidé d’autoriser l’engagement de missiles à longue portée contre la Russie. Le 19 novembre, un tir de missiles ATACMS non loin de Briansk à 120 km de profondeur semble confirmer ce changement.
En fait, un article du New York Times paru le 27 décembre montre qu’il n’y a pas eu deux décisions (en mai, puis en novembre 2024), mais une seule en mai.
Comment cela peut-il s’expliquer ?
Il semble que l’Ukraine ait tenté d’attirer les États-Unis dans une situation de « fait accompli », afin de forcer Biden dans une décision. Les États-Unis sont un peu pris au piège de Zelensky. Avouer que l’Ukraine est un acteur imprévisible qui « désobéit » pourrait dissuader les autres pays occidentaux à continuer à l’aider. C’est pourquoi, les Américains ont décidé de jouer avec cette incertitude. Mais c’est un jeu dangereux, car l’Ukraine est dans une situation qui la pousse à multiplier les actes désespérés. L’attaque sur Briansk n’est qu’un exemple qui illustre que l’Ukraine est prête à franchir les lignes rouges de Washington. On l’a déjà vu avant avec les attaques contre des radars d’alerte lointaine russes VORONEJ (22 mai), des raffineries de pétrole russes (juin) et contre Koursk (6 août)7.
Par ailleurs, je rappelle que Zelensky avait dit à Donald Trump en septembre 2024 que l’Ukraine était prête à produire ses propres armes nucléaires si elle n’était pas admise dans l’OTAN. L’Ukraine a également entrepris de produire des missiles HRIM-2 (GROM-2) qui pourraient atteindre Moscou.
L’attaque sur Briansk du 19 novembre 2024 a été la plus profonde menée contre le territoire russe avec des missiles occidentaux. C’est pourquoi, le 21 novembre, Vladimir Poutine a décidé d’utiliser le missile hypersonique ORESHNIK, notamment sur l’usine de Juzhmash à Dniepropetrovsk, qui participe à la production du missile HRIM-2. C’est donc un message à l’Ukraine, mais aussi aux Américains, afin qu’ils reprennent le contrôle de Zelensky.
Il semble donc que le Joe Biden n’ait pas changé sa décision concernant les missiles. Le problème est que pour être engagés dans la profondeur du territoire russe, ces missiles nécessitent des données que seuls les Américains peuvent fournir. C’est pour cette raison que Vladimir Poutine considère que les États-Unis seraient alors un acteur actif du conflit. C’est pour cette même raison que le Pentagone est fermement opposé à de tels engagements. À ce stade, aucun élément ne permet de dire que les USA ont changé leur doctrine à cet égard.
En réalité, cette situation illustre un problème que l’on observe également avec Israël et l’Iran : l’incapacité des Etats-Unis à maintenir le contrôle sur leurs « protégés ». C’est cela qui est le réel danger en Europe et au Proche-Orient. Les dirigeants ukrainiens et israéliens ont la même culture qui pourrait les conduire à déclencher un holocauste nucléaire…
Comme le rapporte le Wall Street Journal, et comme je l’ai dit dans plusieurs de mes ouvrages dès 2022, les Occidentaux savaient que l’Ukraine n’avait pas les moyens de faire cette guerre8. En avril 2024, lors de réunions avec des politiciens américains, les services de renseignements ukrainiens, ont reconnu que l’Ukraine ne pouvait pas gagner une guerre conventionnelle contre la Russie et qu’il fallait passer à une stratégie de « guerre asymétrique » sur le territoire russe9.
Pourtant, ces constatations n’ont pas modifié l’attitude de nos politiciens, qui ont continué à pousser l’Ukraine vers la voie de la guerre. En d’autres termes, les Occidentaux poussent l’Ukraine à abaisser l’âge de conscription à 18 ans pour continuer une guerre que l’on sait déjà perdue depuis avril 202410 !
Peut-on donc dire que l’utilisation par l’Ukraine de missiles britanniques, français et américains sur le territoire russe sont des « actes de désespoir », signes d’une défaite annoncée ? Pourquoi les livraisons d’armes n’ont-elles rien apporté, mais ont-elles conduit l’Ukraine encore plus vers la défaite ?
En réalité, l’Ukraine a déjà perdu cette guerre en mai-juin 2022. Les Occidentaux se moquent de l’Ukraine et de ce qui peut lui arriver. Leur objectif était que la Russie s’effondre. Son « inéluctable » défaite en Ukraine devait contribuer à son démembrement11 et sa perte définitive d’influence dans le monde12. Mais la stratégie occidentale n’a pas fonctionné et le discours officiel est que « la Russie ne doit pas gagner ».
Depuis l’été 2022, les missiles HIMARS, les canons M-777, les canons CESAR, les missiles ATACMS, les chars de combat ABRAMS et LEOPARD ont été présentées par nos journalistes comme des « Wunderwaffen ». Initialement, les Occidentaux ne voulaient pas les livrer. C’est la détérioration constante de la situation qui les a poussés à franchir leurs propres « lignes rouges ». Or comme l’a rappelé le général américain Patrick Ryder, en septembre 2024, « il n’y a pas d’arme miracle qui puisse apporter la victoire à l’Ukraine »13. En réalité, c’est même l’inverse. Aujourd’hui plus personne n’entend parler des F-16 ou des STROM SHADOW !
Chacune de ces armes devait permettre à l’Ukraine de renverser la tendance et créer les conditions d’une paix avantageuse. En réalité, elles n’ont fait que donner l’illusion d’une victoire possible à l’Ukraine et l’entrainer toujours davantage vers sa destruction.
Elles n’ont jamais eu le potentiel de faire basculer le rapport de forces, mais elles ont permis à la Russie de trouver des contre-mesures et de se renforcer technologiquement. On a même compliqué la vie des Ukrainiens, qui ont parfois dû utiliser « Google translate » pour traduire les manuels d’emploi des armes livrées14 ! Distribuées sans formation aux militaires ukrainiens, elles n’ont pas pu être intégrées dans des structures et des concepts opératifs capables d’apporter la victoire. En ce qui concerne les ATACMS, les Etats-Unis en auraient livré 500 exemplaires à l’Ukraine, depuis 2023, ce qui représente environ 20% des stocks américains15. Mais cela n’a absolument pas changé le cours du conflit : les missiles n’ont pas pu être intégré dans une doctrine d’emploi cohérente en appui des opérations, mais utilisés comme des armes de représailles.
Ces armes visent plus à nous donner bonne conscience qu’à aider l’Ukraine. Par exemple, les Mirage 2000-5F offerts par la France, en été 2023 n’ont pas été accueillis avec enthousiasme par les Ukrainiens. En septembre 2023, Youri Ignat, le porte-parole des forces aériennes ukrainiennes avait déclaré que ce n’était pas l’appareil dont l’Ukraine avait besoin et qu’il ne ferait que compliquer la vie des militaires ukrainiens16. Mais naturellement, aucun politicien français n’a écouté, essayé de comprendre et offrir une meilleure solution aux Ukrainiens. En décembre 2024, les pilotes ukrainiens viennent de terminer leur formation sur Mirage 2000-517 !…
La seule manière de voir une rationalité des décisions occidentales est de constater qu’il ne s’agit pas de donner la victoire à l’Ukraine, mais d’affaiblir la Russie. Et même cet objectif n’a pas été atteint ! Depuis la mi-2022, en sous-estimant les capacités russes, les Occidentaux ont systématiquement poussé l’Ukraine dans une situation qui lui était défavorable. En justifiant leur aide par des mensonges, les Occidentaux ont laissé entrevoir à l’Ukraine qu’ils avaient plus de capacités qu’ils n’en avaient en réalité. C’est pourquoi Zelensky insiste pour que les Occidentaux respectent leurs promesses. En mentant sur la Russie, nos journalistes et nos politiciens ont menti à l’Ukraine sur l’issue de la guerre, comme le reconnait le Wall Street Journal18. Nos journalistes et nos politiciens ont sciemment conduit les Ukrainiens à une mort certaine.
L’Ukraine est repoussée sur tous les fronts, mais les dirigeants de l’UE (Kallas et Costa) font tout de même un pèlerinage chez Zelensky et lui promettent un soutien supplémentaire pour éviter une victoire de la Russie. Est-ce réaliste ?
Bien que le discours officiel occidental laisse planer une certaine ambiguïté sur la question, depuis mars 2022, Zelensky sait que l’Ukraine ne fera pas partie de l’OTAN19. D’un autre côté, comme l’avait déclaré Olekseï Arestovitch en mars 2019, il sait que l’Ukraine n’a pas de chance de succès sans l’aide occidentale. C’est pourquoi, en avril 2022, Zelensky a échangé une perspective de paix avec la Russie contre un soutien occidental pour « aussi longtemps qu’il le faudra20 ».
À partir de ce moment, Zelensky fait tout ce qu’il peut pour forcer les Occidentaux à s’impliquer physiquement dans le conflit. C’est ce qui explique la multiplication des accusations de crimes de guerre contre la Russie, en avril-juillet 2022, afin de justifier la création d’une zone d’interdiction de vol au-dessus de l’Ukraine ou d’une zone démilitarisée autour de Zaporojie21, que l’OTAN refuse22 systématiquement23. Ne pouvant compter sur l’OTAN, Zelensky conclut des accords de sécurité bilatéraux avec ses partenaires occidentaux. Ces accords ne sont que la démonstration que l’OTAN a été créée autour de la capacité nucléaire américaine et est « surdimensionnée » pour répondre à ce type de crise.
Aujourd’hui, on est passé à un soutien pour « aussi longtemps qu’on le pourra24 ». En clair : les Occidentaux ont épuisé leurs ressources et les Ukrainiens savent qu’ils ne pourront pas gagner25. En revanche, les Occidentaux restent persuadés que l’Ukraine peut encore gagner ce conflit. C’est la « pensée magique »26. Venant d’Estonie (un pays qui vit avec l’argent des autres), Kaja Kallas, la nouvelle responsable des affaires étrangères de l’UE, fait la guerre contre la Russie avec le sang des autres et est l’une des plus ferventes avocates de la pensée magique. Pour elle, il ne peut être question de parler à Vladimir Poutine, car il refuse la paix27. C’est évidemment une menteuse, car Poutine a déclaré à plusieurs reprises qu’il était prêt à discuter28.
Nos dirigeants cherchent à combattre Vladimir Poutine jusqu’au dernier ukrainien29. Cette guerre est devenue une guerre de religion.
Quels sont les risques liés à TAURUS ?
Le missile de croisière TAURUS est de la même famille que les missiles STORM SHADOW britannique et SCALP français. Il a un rayon d’action et une technologie similaire et ne changerait strictement rien à la situation de l’Ukraine, car la Russie est parfaitement capable de les intercepter. D’ailleurs, on n’entend plus vraiment parler de ces missiles, ni des ATACMS, qui ne parviennent pas à percer la défense aérienne russe.
La décision de fournir des TAURUS à l’Ukraine aurait un impact plus politique qu’opérationnel. Le gouvernement allemand semble avoir la nostalgie du travail qu’il n’a pas pu finir en 1944, ce qui explique sa dérive autoritaire : le soutien à des entreprises criminelles condamnées par les Nations Unies30, y compris le soutien au terrorisme, ou le retour de la censure des années 1930, dans toutes ses dimensions, y compris la mise de livres à l’index31. Que ce soit pour l’Ukraine ou en Palestine, le gouvernement allemand a une approche nihiliste des conflits… et la Suisse le suit de très près !
Même si, comme vous l’avez mentionné, Zelenskyj a franchi des « lignes rouges », l’Occident est le principal moteur de la guerre.
Comme le déclarait le média Kyiv Post, le 1er septembre, « Poutine a raison sur un point : la guerre en Ukraine ne concerne pas uniquement l’Ukraine. Pour traiter efficacement avec Poutine, les États-Unis et l’Occident doivent comprendre que la guerre russo-ukrainienne s’inscrit dans un conflit plus large entre la Russie et l’Occident »32. Depuis 2014, il s’agit donc bien d’un conflit déclenché par les États-Unis, qui utilise l’Ukraine comme champ de bataille et les Européens comme « idiots utiles ».
Le conflit en Ukraine est un conflit entre l’Occident et la Russie. Paradoxalement, ce n’est pas un conflit entre l’OTAN et la Russie. Au contraire, c’est un conflit qui démontre l’inadéquation de l’OTAN pour ce genre de conflit. Je rappelle que la raison d’être de l’OTAN est de placer les pays européens sous la protection nucléaire des États-Unis. Comme l’a rappelé à plusieurs reprises Jens Stoltenberg, l’OTAN est une alliance nucléaire. Autrement dit, elle est surdimensionnée pour répondre au conflit ukrainien. En fait, on pourrait dire que le missile ORECHNIK du 21 novembre 2024 a rendu l’OTAN obsolète ! C’est la raison pour laquelle les différents pays européens ont dû conclure des accords bilatéraux avec l’Ukraine pour lui donner des garanties de sécurité.
Je rappelle également que même si des « pays de l’OTAN », comme la France, l’Allemagne ou la Pologne se sont impliqués dans ce conflit, l’OTAN en tant qu’organisation n’est pas impliquée. Ici, l’échec de l’OTAN n’est pas de nature opérationnelle, mais conceptuelle. L’OTAN n’est pas formatée pour un conflit intra européen. C’est pourquoi ni la Suède ni la Finlande n’ont amélioré leur sécurité en entrant dans l’Alliance, mais l’ont au contraire péjorée. Ceux qui voient dans le conflit ukrainien une raison pour la Suisse de se rapprocher de l’OTAN n’ont strictement rien compris à son fonctionnement.
On entend peu parler de l’utilisation des missiles ATACMS, ni des objectifs militaires qu’ils ont atteints ou détruits. Que peuvent-ils accomplir en fin de compte ?
L’attaque contre Briansk du 19 novembre 2024, a été la plus longue (120 km) effectuée au moyen de missiles ATACMS. Après l’engagement du missile ORECHNIK, l’Ukraine a mené au moins une attaque au moyen de 6 ATACMS, le 11 décembre 2024 contre une usine de Taganrog. Cette attaque a eu lieu 50 km à l’intérieur du territoire russe, donc dans les limites approuvées par les USA. Le 3 janvier 2025, une attaque de 8 ATACMS a été détruite par les Russes dans le secteur de Belgorod.
Le problème est que les Ukrainiens n’ont pas vraiment d’objectifs militaires à combattre avec ces missiles. Ils se concentrent donc sur des objectifs civils. L’idée, comme l’a déclaré Zelensky, est que la population russe « sente la guerre »33.
Actuellement, les Ukrainiens et les Européens cherchent à créer cette escalade avant l’arrivée de Donald Trump, afin de le mettre devant un fait accompli. C’est ce qui explique les démarches de Macron auprès des Polonais pour les inciter à s’engager avec des troupes aux côtés de la France en Ukraine. Cela explique également les déclarations de Keir Starmer, d’infliger un « maximum de douleur » à Vladimir Poutine34. Mais la réaction de Donald Trump, qui s’oppose à l’emploi de missiles contre la Russie35 et l’envoi de troupes en Ukraine36, a refroidi les ardeurs infantiles du président français et du premier ministre britannique.
Quand la guerre est-elle terminée pour la Russie ? Son objectif a-t-il changé ?
Il est important de rappeler ici que la Russie travaille en fonction des objectifs définis en février 2022 par Vladimir Poutine : la destruction de la menace contre les populations russes d’Ukraine. Conformément à sa doctrine, la Russie cherchera à transformer sa victoire militaire en une victoire politique et ainsi imposer la neutralité de l’Ukraine. Il est parfaitement clair depuis le début de son opération, que la Russie ne cherche pas à s’emparer du territoire ukrainien. En avril 2022, à l’issue des négociations d’Istanbul, les Russes étaient prêts à se retirer du territoire ukrainien (la question du Donbass et de la Crimée restant à discuter).
Le conflit n’est donc pas de nature territoriale et la Russie n’a probablement jamais eu l’intention d’occuper la partie occidentale de l’Ukraine. C’est la partie la plus nationaliste, qui a des liens historiques avec l’Allemagne qui lui avait offert sa première indépendance en 1941. C’est ce qui explique pourquoi les Allemands, et notamment des personnages comme Annalena Baerbock ou Ursula von der Leyen (sans compter d’autres, comme la ministre canadienne Chrystia Freeland) ont des liens affectifs très forts avec cette partie du monde. Jusqu’au début des années 1960, les Soviétiques ont combattu une guérilla dans cette région, soutenue par les services secrets américains (opération AERODYNAMIC), britanniques (opération VALUABLE) et français (opération MINOS).
Les Russes ne veulent pas répéter cette expérience. Ils sont prêts à négocier, mais pas à n’importe quel prix. Le 14 juin 2024, lors d’une allocution aux cadres du ministère des Affaires étrangères, Vladimir Poutine avait énoncé les deux conditions pour initier un processus de négociations : a) le contrôle de la Russie sur la totalité des territoires des oblasts de Kherson, Zaporojie, Donetsk et Lougansk et b) la renonciation de l’Ukraine à adhérer à l’OTAN37.
Aujourd’hui, Zelensky sait deux choses : a) que l’appartenance de l’Ukraine à l’OTAN est une ligne rouge pour la Russie ; et b) que son entrée dans l’OTAN est peu probable, car Trump y est opposé38.
Comme l’a déclaré Viktor Orban, il n’y a que deux issues possibles pour le conflit : un accord de paix ou la destruction totale de l’un des deux protagonistes, c’est-à-dire, selon toute probabilité, l’Ukraine39.
Autrement dit, Zelensky a deux solutions : négocier avec Vladimir Poutine ou faire escalader le conflit. Son pari de prendre un morceau de territoire russe en gage à Koursk ayant échoué et n’ayant aucune carte en main pour entrer en négociations, Zelensky, tente de provoquer une escalade. Il veut pousser les Occidentaux à intervenir afin de faire monter les enchères. Il met en œuvre la « guerre asymétrique » contre la Russie qui avait été évoquée en avril 2024 par Kirillo Budanov. C’est ce qui explique la rapide succession de l’assassinat du général Kirillov40, des attaques de drones contre la population civile à Kazan41, l’attaque contre un cargo en mer Méditerranée, la coupure du pipeline Druzhba vers la Slovaquie et la Hongrie. Cela explique également son acharnement à tenir le petit territoire autour de Sudja dans l’oblast de Koursk.
Que faut-il pour parvenir à une solution négociée ? Peut-on y parvenir avec Zelensky, avec la participation de l’Occident ?
La résolution du problème est cependant plus complexe qu’elle n’y parait.
Premièrement, la Russie n’entrera en négociations qu’avec un gouvernement ukrainien légitime et légalement reconnu. En effet, l’incapacité à mener des élections présidentielles en mai 2024, sous la loi martiale, a placé Zelensky dans une zone grise institutionnelle. Selon la Constitution de l’Ukraine, le vrai chef de l’État serait le président de la Rada (parlement) et non Zelensky. En d’autres termes, un accord signé avec Zelensky pourrait tout simplement être invalide.
Deuxièmement, Zelensky s’est interdit par décret de négocier avec la Russie, tant qu’elle est dirigée par Vladimir Poutine42. Ici également la validité d’un accord conclu avec l’Ukraine est en question.
Troisièmement, les Russes n’ont aucune confiance dans les éventuels partenaires occidentaux à un accord. En février 2014, la France, l’Allemagne et la Pologne avaient garanti l’accord passé entre les manifestants de Maidan et le président Ianoukovitch ; elles n’ont pas respecté leur parole et laissé le président ukrainien se faire renverser deux jours plus tard. En février 2015, la France et l’Allemagne avaient garanti les Accords de Minsk, avant d’avouer qu’elles n’avaient jamais eu l’intention de respecter cet engagement. En mars 2022, la France et l’Allemagne avaient participé aux négociations d’Istanbul et demandé à la Russie de retirer ses forces de Kiev en signe de bonne volonté, ce que la Russie a fait… juste avant que les Européens poussent Zelensky à se retirer de la négociation !… La France et l’Allemagne sont des pays sans honneur, dont la parole ne vaut rien. Pourquoi la Russie devrait-elle avoir confiance dans de tels « partenaires » ?
Quatrièmement, les Russes ont constaté que négocier avec l’Ukraine ne sert à rien si les Occidentaux viennent plus tard pour saboter le résultat des négociations. En novembre 2022, Claude Wild, ambassadeur de Suisse en Ukraine, déclarait avec raison que la décision de négocier « appartient aux Ukrainiens ». Le problème est qu’il était totalement déconnecté de la réalité43. « Pas d’accord sur l’Ukraine sans l’Ukraine » devrait certainement être une contrainte. Le problème est que systématiquement, à la fin février 202244, en avril 202245, puis en août 202246, les Occidentaux sont intervenus pour interrompre ou annuler les négociations entre la Russie et l’Ukraine. Il faudra donc rétablir cette confiance avec la Russie et lui donner des garanties supplémentaires. L’incapacité de nos diplomates à créer un climat de confiance à cause de leur attitude partisane jouera en défaveur de l’Ukraine. Vladimir Poutine voudra probablement avoir un arrangement avec les Américains, et ce sera le rôle de Trump d’imposer à Zelensky ce qu’il a discuté.
Aujourd’hui, les Russes partent de l’idée que, comme pour les Accords de Minsk, les Occidentaux ne cherchent qu’à faire une pause, afin de réarmer l’Ukraine, puis de reprendre le conflit. C’est pourquoi, ils ont clairement déclaré qu’ils ne s’engageraient dans des négociations que pour atteindre une solution définitive.
Donc les Russes sont ouverts à l’idée de négocier47, mais avec des critères très stricts.
Les idées d’obtenir un « gel » du conflit, d’une zone démilitarisée, de déployer des troupes de maintien de la paix, de permettre à l’Ukraine d’entrer dans l’OTAN après 5, 10 ou 20 ans sont exclues pour la Russie.
De son côté, Zelensky ne veut pas de paix ; il veut entrer dans l’OTAN. Comme l’expliquait Olekseï Arestovitch, son conseiller et la RAND Corporation au printemps 2019, c’est la raison pour laquelle il a engagé l’Ukraine dans ce conflit. Il s’agissait de créer une situation où la Russie devait être affaiblie par des sanctions massives et brutales, qui devaient provoquer son effondrement, ouvrant ainsi la porte de l’OTAN à l’Ukraine48. Cela devait être l’aboutissement d’une longue stratégie des États-Unis, comme le constatait Robert Wade de la London School of Economics en mars 202249. Aujourd’hui, la Russie ne s’est pas effondrée et est plus forte que jamais.
Aujourd’hui, Zelensky n’a pas encore atteint cet objectif, qui reste sa première priorité50. C’est pourquoi il résiste à l’idée d’une négociation. Il veut des armes ; pas de négociations51. Il veut «la paix par la force »52. Il a refusé l’initiative de médiation de Victor Orban, qu’il accuse d’être un allié de la Russie53, et de son homologue slovaque Robert Fico, accusé d’être payé par Moscou54. C’est pourquoi il refuse toute initiative pouvant donner le signe d’un apaisement. Cela explique le refus de Zelensky à la proposition de trêve de Noël de Victor Orban. C’est également la raison pour laquelle il aurait évoqué à Donald Trump son intention de doter l’Ukraine de l’arme nucléaire au cas où elle ne serait pas admise dans l’OTAN55.
De quoi s’agit-il pour Zelensky lorsqu’il rejette tout ce qui conduit à la paix et à la fin de la mort ?
Pour Zelensky, il s’agit de montrer sa détermination à continuer à se battre, afin de ne pas donner à Trump le sentiment que l’Ukraine a jeté l’éponge. En mars 2022, les Occidentaux lui ont promis une aide illimitée, Zelensky cherche donc à les mettre en face de leurs responsabilités. C’est l’explication pour son offensive à Koursk et la récente nouvelle « offensive » qu’il a lancée dans ce secteur.
Le mot « négociation » a une signification différente pour Vladimir Poutine et pour Volodymyr Zelensky. Pour Poutine, il s’agit de passer de la situation militaire sur le terrain vers un accord durable. Pour Zelensky, il s’agit de négocier les modalités d’une capitulation et du retrait de la Russie de l’Ukraine, pour avoir un accord sur la base des frontières de 1991. C’était d’ailleurs ce qui était prévu pour la conférence de juin 2024 en Suisse, où les pays occidentaux et l’Ukraine devaient définir les modalités du retrait russe, la Russie n’étant pas autorisée à s’exprimer durant ce processus et ne devait qu’être présente pour recevoir les injonctions occidentales. Comment nos diplomates ont-ils pu être aussi stupides et veules pour imaginer un tel scénario digne des idéologies les plus ignobles de notre histoire ? En réalité, ce n’est pas très surprenant…
Quel rôle Donald Trump joue-t-il ou pourrait-il jouer ?
C’est dans ce contexte que Donald Trump arrive. Il n’est pas certain qu’il ait la solution, mais il faut lui reconnaitre la volonté d’essayer ; ce qu’aucun dirigeant ou diplomate occidental n’a tenté auparavant.
Le premier problème vient de ce que cherche réellement Donald Trump. A priori, il veut passer le problème aux Européens. Non seulement ce conflit est devenu un « trou noir » qui engloutit des ressources militaires, financières et diplomatiques sans perspectives de retour sur investissement, mais il associe les États-Unis à l’image d’une défaite. Cela n’est pas vraiment compatible avec le retour de la grandeur américaine annoncé par Trump. Depuis plusieurs semaines, on entend les idées les plus diverses sur l’approche américaine d’un processus de négociations. Mais on ne voit toujours pas de plan concret.
Trump va se heurter à ses alliés européens, qui sont incapables politiquement, économiquement et militairement à soutenir seuls l’effort de guerre ukrainien, et qui refusent une négociation avec la Russie… en prétendant que c’est elle qui refuse56 !
C’est pourquoi, des dirigeants comme Macron commencent à paniquer et à revenir avec l’idée de déployer des troupes en Ukraine57. Mais ses alliés ne sont pas du même avis. En février 2024 déjà, l’OTAN avait rejeté cette idée58. En décembre, Donald Tusk rejette une participation de la Pologne59. De toutes façons, l’idée d’envoyer des troupes en Ukraine pour « maintenir la paix », suppose qu’il y a une paix à maintenir. Autrement dit, qu’il y aurait un accord avec la Russie. Outre le fait que personne ne sait comment parvenir à cet accord et quelle teneur il aurait, cela signifierait que la Russie accepterait l’idée d’une présence militaire occidentale sur le territoire ukrainien. Or, nous savons déjà que Vladimir Poutine a déjà rejeté cette idée à plusieurs reprises.
En tout état de cause, la diplomatie occidentale a conduit l’Ukraine dans une impasse totale. La politique de sécurité d’un pays ou d’une entité est le produit d’une politique étrangère et d’une politique de défense. Dans le cas de l’UE, le volet de Défense devrait être assuré par l’OTAN, tandis que la Politique étrangère commune devrait être assuré par le Service d’Action Extérieure (EEAS). Or, on constate que l’OTAN n’est pas adaptée à un conflit comme celui d’Ukraine et que l’EEAS s’est avéré totalement absent de la scène internationale. L’inadéquation de l’EEAS est illustrée par Serguei Lavrov, qui affirme que « L’UE est devenue une sorte d’OTAN au sens politico-militaire60. »
Résultat : les Européens passent plus de temps à se mettre d’accord sur un plan, qu’à chercher à intégrer les exigences russes. Cette absence de réflexion et de « stratégie » des Européens a pour conséquence que la seule solution pour la Russie est une victoire décisive sur l’Ukraine. Mais cette victoire décisive sur l’Ukraine pourrait pousser la Russie à une occupation territoriale qu’elle ne voulait pas au départ.
Par conséquent, indépendamment de ce que pourrait faire Trump, le conflit pourrait donc se terminer autour d’un point d’équilibre défini par la rencontre les intérêts mutuels de l’Ukraine et de la Russie. La Russie intérêt à ce que le conflit s’arrête avant qu’elle soit contrainte d’occuper la partie occidentale de l’Ukraine ; et l’Ukraine devra s’arrêter avant que son existence même soit menacée…
Parlons encore du Proche-Orient. Est-il possible de voir quelle voie Trump pourrait emprunter pour mettre fin au conflit ?
Non, pas vraiment. On sait que Donald Trump est partisan d’un soutien inconditionnel à Israël et qu’il considère les Palestiniens comme des terroristes61. Il ne faudra donc pas compter sur un apaisement basé sur un dialogue entre Israël et la Palestine.
En revanche, on peut s’attendre à ce que Trump cherche à sortir les États-Unis de ce conflit, afin de pouvoir se concentrer sur sa tâche de reconstruction économique. Toutefois, l’expérience du premier mandat de Trump a montré qu’il n’avait pas joué un rôle modérateur au Proche-Orient. Ses frappes contre la Syrie et l’assassinat du général Soleimani avaient clairement contribué à accroitre les tensions dans la région.
Les médias rapportent que le gouvernement syrien et la Russie, qui soutiennent la Syrie, ont été surpris par l’offensive de HTS. Est-ce que cela peut être vu comme ça ?
Non, il ne semble pas que la surprise ait été totale. Selon le communiqué du Ministère russes des Affaire étrangères du 8 décembre, il semble que le gouvernement syrien ait négocié avec la Turquie ou le HTS une passation du pouvoir sans violence62. Il semblerait de Bachar el-Assad ait voulu éviter une nouvelle guerre et a préféré quitter le pouvoir. Je rappelle qu’en février 2012, la Russie et la Syrie avaient proposé la même solution, mais les Occidentaux ont refusé, convaincus qu’Assad serait renversé en quelques semaines63. Cette fois-ci, Bachar el-Assad n’a pas cherché à demander : il est parti…
En revanche, l’ampleur de l’offensive du HTS et de la Turquie semble avoir surpris tout le monde. Il semble que la Turquie avait comme objectif initial de constituer une zone-tampon le long de sa frontière et de repousser les Kurdes plus à l’Est et plus au Sud. C’est d’ailleurs probablement pour cette raison que la Turquie a cherché à plusieurs reprises en 2023-2024 d’établir un dialogue avec Bachar el-Assad. Mais ce dernier a systématiquement refusé de parler à Erdogan, tant que la Turquie occupait des portions du territoire syrien. En fait, Bachar el-Assad a adopté la même attitude que Zelensky avec la Russie ! Cette absence de dialogue entre les deux pays est probablement ce qui a conduit à la situation actuelle. Les mêmes causes ayant les mêmes effets, c’est probablement le même développement que l’on pourrait observer en Ukraine.
L’Occident veut-il affaiblir la Russie en Syrie en soutenant le HTS et le nouveau gouvernement ?
En fait, pas vraiment. Bien sûr l’Ukraine a cherché à ouvrir un second front en Syrie64, ses forces spéciales y ont attaqué les forces russes en juin65 et elles ont répété l’opération en septembre66. D’autre part les services secrets ukrainiens ont participé à la formation des terroristes du HTS67, avec lesquels l’Ukraine ont des liens étroits68. Mais, il n’y a pas eu d’affrontements entre HTS et les forces russes.
Au contraire, on a vu que le HTS a évité de toucher des militaires russes. Par la suite, contre toute attente, le HTS et la Turquie semblent vouloir conserver les bases russes en Syrie69. C’est d’ailleurs pour cette raison que les ministres des Affaires étrangères allemand et français sont allé à Damas, afin demander (sans succès) le retrait des bases russes70.
Pour les Occidentaux, il y a clairement une intention d’affaiblir l’influence de la Russie. D’ailleurs, c’est ce que prévoyait la stratégie établie par la RAND Corporation en avril 2019, et qui a été appliquée en tous points depuis.
Si à première vue le changement de régime à Damas est un revers pour la Russie, une analyse plus approfondie montre que ce n’est probablement pas le cas. La Russie, l’Iran et la Turquie ont tous les trois une diplomatie robuste, dont l’efficacité semble apparaitre aujourd’hui.
Quelle évolution peut-on observer en Syrie depuis la fin du gouvernement d’Assad, et quel rôle y joue Israël ?
Israël, conformément à son habitude, continue à frapper les installations militaires de son nouvel allié syrien71. Le nouveau gouvernement syrien a déclaré n’avoir aucune hostilité contre Israël à ce stade, et considère que ces frappes concernent encore le « régime » d’Assad. En fait, la Syrie n’est pas encore en mesure de répondre à ces attaques. Mais elle a clairement fait savoir aux délégations occidentales que sa patience avait des limites72. De fait, son gouvernement a déjà adressé une lettre au Conseil de Sécurité des Nations Unies pour demander le retrait des troupes israéliennes du territoire syrien73.
Les appels d’Annalena Baerbock pour une Syrie « inclusive74 » illustrent le caractère infantile de nos dirigeants. En se précipitant pour discuter avec les dirigeants du HTS (toujours considéré comme une organisation terroriste75, la ministre allemande démontre que l’appellation « terroriste » a une valeur strictement politique et non factuelle. Cela montre que le « Hamas », que (seuls) les Occidentaux qualifient de terroriste, pourrait très bien être un partenaire pour négocier une solution en Palestine. Le terme « terroriste » n’a ici pour seule fonction que d’empêcher toute négociation. Ceci est encore confirmé par Moran Gaz, ex-chef de la division des affaires de sécurité au bureau du procureur du district sud, qui a déclaré qu’il n’y avait eu aucun cas de viol par les Palestiniens le 7 octobre76 Si on y ajoute que le seul bébé passé au four en Palestine l’a été par les Israéliens eux-mêmes77, que le 7 octobres 2023, il n’y a jamais eu de 40 bébés décapités78, et que la majorité des Israéliens tués l’ont été par les Israéliens eux-mêmes79.
Autrement dit, le soutien de Mme Baerbock aux crimes contre la population gazaouie se fonde exclusivement sur les mensonges de la désinformation israélienne. Ce qui n’est pas très surprenant puisqu’elle soutien des groupes désignés comme terroristes par les Nations Unies.
Y a-t-il un plan de partage de la Syrie ?
Je ne sais pas de quel plan vous parlez. Le seul plan de partition vde la Syrie que je connais est celui qui a été établi par Oded Yinon dans les années 1980, et qui est à l’origine d’un rapport de 1996, intitulé « A Clean Break », à l’intention de Benjamin Netanyahu. Il prévoyait la reconfiguration du Proche-Orient et la balkanisation de la Syrie. Cette idée a été reprise par les Américains, et un rapport de la Defense Intelligence Agency daté du 5 août 2012 en expliquait le détail, en précisant qu’il fallait créer une « principauté salafiste » en Syrie80. Une situation qui pourrait sembler étrange de la part d’Israël, sauf si l’on sait que l’État hébreux préférait avoir l’État Islamique à sa frontière plutôt qu’une Syrie alliée à l’Iran81 !
De ce point de vue, on peut dire que Benjamin Netanyahu a obtenu ce qu’il voulait. Mais, il est probablement tombé de Charybde en Scylla, car en Turquie un nouveau slogan circule « Hier Sainte Sophie, aujourd’hui les Omeyyades, demain Al-Aqsa ». L’insistance d’Israël et le soutien de ses alliés comme les États-Unis, l’Allemagne ou la Suisse pour détruire les Etats de la région en favorisant leurs divisions internes atteint lentement ses limites.
La dynamique qui s’est installée dans le « reste du monde », encouragée par les crimes de guerre israéliens et ses violations répétées du droit international, a créé une tendance durable de rejet d’Israël. Cette tendance pourrait, comme j’en ai averti le risque dans mon livre « La défaite du vainqueur », conduire à la formation d’une coalition visant à éliminer Israël de la région. Même si l’on peut peut-être la regretter, cette éventualité apporterait une certaine stabilité dans la région et permettrait aux divers pays de la région d’avoir des relations normales entre eux.
Le HTS est-il un adversaire du Hezbollah et de l’Iran ?
Je ne pense pas que l’on doit voir les choses de cette manière. Tout d’abord, nous sommes au Proche-Orient. Les logiques occidentales ne s’appliquent pas ici. La logique « les amis de mes amis sont mes amis » est facile à comprendre. Mais lorsque l’on utilise le mot « ennemi » dans le triangle, un esprit occidental n’y comprend plus rien. Mais cela peut fonctionner au Proche-Orient.
Les nouvelles autorités de Damas et l’Iran cherchent à renouer le dialogue82. L’Iran va signer un accord de partenariat stratégique avec la Russie à la fin janvier83. La Turquie reste un partenaire de la Russie et cherche à accroitre ses échanges avec l’Iran84.
La dynamique des BRICS n’a évidemment rien d’une alliance militaire, mais contrairement à ce que l’on observe dans l’Union Européenne, elle marque une communauté d’intérêts. Dépourvue de moyens de coercition, elle réunit ses membres dans une démarche tournée vers la coopération. C’est pourquoi, l’effondrement de la Syrie ne s’est pas traduit par une confrontation générale, même si les exactions et les crimes commis par le HTS avec la bénédiction des Occidentaux sont très, très, très nombreux.
Le point marquant de cette situation est la réflexion apparue dans l’American Economic Institute, qui déclare « Les États-Unis doivent se préparer à tuer des Turcs en Syrie »85. Les Israéliens commencent à comprendre le danger puisqu’un rapport de la Commission Nagel du gouvernement israélien du 6 janvier 2025 déclare qu’Israël doit se tenir prêt à combattre la Turquie86…
Une fois de plus, c’est dans le « camp occidental » qu’apparaissent les problèmes !
On observe la chute lente d’un pays qui a systématiquement refusé de respecter le droit international, qui est probablement le pays qui a commis le plus de crimes de guerre et de violations du droit international humanitaire depuis 1945. Israël n’a jamais trouvé la respectabilité qu’il aurait dû avoir parce qu’il s’est systématiquement considéré comme au-dessus du droit. À cette constatation s’ajoute le mépris croissant du reste du monde envers un monde occidental qui lui aussi se considère au-dessus des lois, qui se donne le droit d’aller massacrer des innocents à travers le monde et qui pleurniche lorsque le terrorisme le frappe en retour.
Les Occidentaux et Israël ont créé des chaos régionaux afin de satisfaire leurs ambitions et leurs intérêts propres. Il n’y a pas une seule victime du terrorisme qui ne soit pas la conséquence de nos politiques étrangères. Le terrorisme n’est pas une fatalité. Dans le cas du terrorisme islamiste, il s’agit toujours d’une réponse à nos actions. Si nous, en tant que citoyens, étions plus attentifs et plus sévères sur les actions de nos gouvernements, nous aurions évité ces drames. Nos magistrats, nos politiciens et nos journalistes sont des individus qui combinent harmonieusement la médiocrité, la corruption et la sottise. C’est ce qui a conduit à la situation que nous avons à l’aube de cette année 2025.
Monsieur, je vous remercie pour cet entretien.
Interview réalisée par Thomas Kaiser
Interview parue en allemand dans « Zeitgeschehen im Fokus » No 1 du 14/01/ 2025
*Jacques Baud est titulaire d’un master en économétrie et d’un diplôme post grade en sécurité internationale de l’Institut universitaire des relations internationales de Genève. Il était colonel de l’armée suisse. Il a travaillé pour le Service de renseignement stratégique suisse et a été conseiller pour la sécurité des camps de réfugiés dans l’est du Zaïre pendant la guerre du Rwanda (UNHCR – Zaïre/Congo) (1995-1996). Il a travaillé entre autres au sein de l’OTAN en Ukraine et est l’auteur de plusieurs ouvrages sur les services de renseignement, la guerre asymétrique, le terrorisme et la désinformation.
Notes
4 https://kyivindependent.com/zelensky-on-kursk-incursion/
7 https://www.ft.com/content/0da7d91d-6836-4fad-a636-740de2381ee6
9 https://thehill.com/opinion/international/5060257-zelensky-ukraine-corruption-waste/
10 https://apnews.com/article/ukraine-war-biden-draft-08e3bad195585b7c3d9662819cc5618f
11 https://www.csce.gov/briefings/decolonizing-russia-a-moral-and-strategic-imperative/
12 https://www.rand.org/pubs/research_reports/RR3063.html
14 https://www.nytimes.com/2022/06/06/world/europe/ukraine-advanced-weapons-training.html
15 https://www.nytimes.com/2024/12/27/world/europe/ukraine-russia-missiles-trump.html
16 https://newsukraine.rbc.ua/news/french-mirage-2000-aircraft-are-not-option-1695299450.html
17 https://mil.in.ua/en/news/ukrainian-pilots-complete-training-on-mirage-2000-5fs-in-france/
19 https://edition.cnn.com/2022/03/15/europe/ukraine-nato-zelensky-shift/index.html
22 https://www.bbc.com/news/world-europe-60629175
25 https://thehill.com/opinion/international/5060257-zelensky-ukraine-corruption-waste/
26 https://www.thenation.com/article/world/ukraine-and-the-end-of-magical-thinking/
29 https://youtu.be/HkbwZCqn7BY
30 https://myrotvorets.center/criminal/lipp-alina/
31 https://norberthaering.de/propaganda-zensur/berufsverbhand-information-biblio/
32 https://www.kyivpost.com/opinion/38140
35 https://kyivindependent.com/trump-opposes-ukraine-launching-us-missiles-in-russia/
36 https://euromaidanpress.com/2024/06/21/trump-vows-not-to-send-troops-to-ukraine/
37 http://en.kremlin.ru/events/president/news/74285
40 https://time.com/7203062/igor-kirillov-russia-ukraine-bombing-explained/
41 https://apnews.com/article/russia-ukraine-war-drones-kazan-d235822b758fd4f3540270bc324a7b77
42 https://www.president.gov.ua/documents/6792022-44249
43 https://www.rts.ch/play/tv/redirect/detail/13567586?startTime=508
44 https://www.politico.eu/article/eu-ukraine-russia-funding-weapons-budget-military-aid/
45 https://www.pravda.com.ua/eng/news/2022/05/5/7344206/
46 Tom Balmforth & Andrea Shalal, « UK’s Boris Johnson, in Kyiv, warns against ‹flimsy› plan for talks with Russia », Reuters, 24 August 2022 (https://www.reuters.com/world/europe/uks-johnson-kyiv-warns-against-flimsy-plan-talks-with-russia-2022-08-24/)
48 https://youtu.be/1xNHmHpERH8
52 https://www.pravda.com.ua/eng/news/2024/11/7/7483391/
53 https://kyivindependent.com/keep-the-jokes-zelensky-criticizes-orbans-attempts-at-mediation/
54 https://kyivindependent.com/zelensky-criticizes-fico/
56 https://www.vie-publique.fr/discours/296746-emmanuel-macron-06012025-politique-etrangere
57 https://uk.ambafrance.org/Ukrainians-must-be-given-the-strongest-possible-hand-Minister
58 https://www.bbc.com/news/world-europe-68417223
60 https://mid.ru/en/press_service/photos/meropriyatiya_s_uchastiem_ministra/1981521/
61 https://www.nbcnews.com/news/trumps-plan-quell-protests-deport-hamas-radicals-rcna166168
62 https://mid.ru/en/foreign_policy/news/1986189/
64 https://english.iswnews.com/36303/ukraine-tries-to-open-new-front-against-russia-in-syria/
65 https://www.kyivpost.com/post/33695
66 https://www.kyivpost.com/post/39074
67 https://www.kyivpost.com/post/43117
68 https://thecradle.co/articles/hundreds-of-al-qaeda-militants-arrive-in-ukraine-from-syria
71 https://www.voanews.com/a/israel-continues-striking-syrian-army-positions/7922874.html
72 https://www.alquds.co.uk/الشرع-لزواره-عن-إسرائيل-الانتهازية-عب/
73 https://documents.un.org/doc/undoc/gen/n24/386/65/pdf/n2438665.pdf
74 https://www.voanews.com/a/french-and-german-foreign-ministers-visit-syria/7922980.html
75 https://news.un.org/en/story/2024/12/1158126
77 https://youtu.be/Bwy-Rf15UIs?t=1498
78 Mehmet Solmaz & Enes Calli, « Despite refutations from Israeli military, headlines that Hamas ‹beheaded babies› persist », Anadolu, 11 octobre 2023 (mis à jour 12 octobre 2023) (https://www.aa.com.tr/en/middle-east/despite-refutations-from-israeli-military-headlines-that-hamas-beheaded-babies-persist/3016167)
79 https://w.ynet.co.il/yediot/7-days/time-of-darkness?externalurl=true
81 https://www.timesofisrael.com/yaalon-i-would-prefer-islamic-state-to-iran-in-syria/
83 https://www.newsweek.com/russia-iran-new-treaty-donald-trump-inauguration-2005782
84 https://www.dailysabah.com/business/economy/turkiye-iran-aim-to-reach-trade-volume-of-30b-minister
85 https://www.aei.org/op-eds/the-united-states-needs-to-prepare-to-kill-turks-in-syria/